J’assiste à l’éclosion de ma pensée, je la regarde et l’écoute pour
citer, mal je crois, Rimbaud. Ouais bon, non, j’exagère un peu
dans le délire. Le mot est lâché : délire, je délire. Tant d’idées de
textes me sont passées par la tête, rien ne fonctionne et il est déjà
trois heures du matin, il faut que je dorme avant quatre, sinon
demain je ne vais pas savoir me lever. Bordel, bien sûr que non
je ne suis pas vide : en plus du chiffre neuf, j’ai le terme de «
destitution » qui me reste en tête. Une marcheuse a écrit «
destitution divine », et voilà que le mot reste en moi et se décline
sans but : chronologie de la destitution, fabrique destituante, et
si en fait le point commun de tous les articles ou poèmes ou
monologues de théâtre de la revue pouvait s’articuler autour de
la destitution ? Chacun sa destitution et son objet de destitution.
Et moi alors ? Je destitue mon talent ? Mon égo ? Et en public !
Mais attends, en fait pourquoi ai-je dit que ce n’était pas la voie
publique ? Ma voix sera publique ! Est-ce que les autres
marcheurs vont voir que je délire ? Est-ce qu’ils vont appeler un
psychiatre, un institut ? Ce sont des poètes ou proches de l’être,
j’en doute un peu mais imaginons : quelques ambulanciers, un
petit et un grand beau gosse, me traînent jusqu’à leur véhicule.
On me met d’office la camisole. « Ça va bien se passer, mon petit
père. » « Mais oui, on va te réparer, mon coco. » J’ai le gosier sec,
ça brûle comme l’acide dans ma bouche. On s’arrête et on
m’emmène à l’intérieur. À ce moment-là, il ne faut pas se
révolter, s’exciter ou dire que c’est une méprise sinon t’es foutu.
Pendant qu’on me carotte mes lacets, je pense à quelques
phrases à prononcer calmement : « Qu’est-ce qu’il y a de plus
humain que la folie ? » Mais ma parole ne vaut déjà plus rien, la
toubib va me regarder à peine un quart de seconde, levant ses
petits yeux lasses, griffonner sur son cahier d’ordonnances et ni
une ni deux, je serai shooté et foutu dans une petite pièce où je
n’aurai même pas le bol d’être seul. Mon camarade de chambre
sentira des pieds et on me refusera de lire des livres, parce que ?
Parce que ! Abruti par un médicament qu’ils auront volé à une
pauvre jument du secteur, je n’aurai plus du tout la capacité de
me lier d’amitié avec lui, d’organiser une mutinerie intellectuelle
et pire d’écrire un meilleur texte pour la revue avant sa parution.
Qu’est-ce qu’il y a de plus humain que la folie ? Eh bah,
sûrement pas la manière dont on la traite. Mais bon ce sont des
poètes ou proches de l’être, j’en doute. Non, ils n’appelleront pas,
mais peut-être qu’ils repenseront à Nerval, à Munch ou à
si tu copies ce texte, mentionne l’auteur !
Munch ou à