2025 - éditions contre-sort
couverture : mutti
CORTÈGE N°2 est dédié à T. et N.
deux amis proches de la rédaction, décédés
lors de la confection de ce numéro.
introduction
La misère et la nuit
foudroiements et
effondrements
salle réveil / sale réveil
quand je regardais les
nuages...
lettte ouverte (reprise)
l'air pèse de tout son
poids
dix leçons pour un abri
d'abord la fin
berlingot
s'invisibiliser
rubis dit
kouli, kouli, kouli
benti
quatre textes
y'a pas maldonne
la rédaction
noémie koch
philippe minot
yve bressande
marie-anne schnerb
f.l.p.d
benjamin milazzo
catalina raíz
sihem benmina
thomas benes
samir élias
marianne & rubis
chems bakkali
sacha zamka
la rédaction
4
6
16
23
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85
CORTÈGE
revue d'hérésies
se passer en douce]
Pour ce second numéro, beaucoup ont saisi cette ligne naturelle et
l'ont continué doing their thing, comme on disait dans les années
soixante, c'est-à-dire en faisant leur truc. Nous pensons avoir réussi
cet étrange pari, ce numéro pouvant se lire comme un triptyque : du
désœuvrement actif à la guerre commune, en passant par la
tentative acharnée dhabiter les choses, de saisir leurs vertiges et
dappuyer les mystères.
Alors, bonne lecture et nhésitez pas : faites comme les caresses, les
doigts simbriquant dans une faille après lautre.
LA RÉDACTION
4
INTRODUCTION
Dans le premier numéro de CORTÈGE, il
ny avait ni manifeste, ni ligne éditoriale
sinon le terme de cortège même, en tout ce
quil peut contenir. La ligne éditoriale
sécrivant d'elle-même, d'une contribution à
l'autre.
I
CORTÈGE N°2
NOÉMIE KOCH
LA MISÈRE
ET LA NUIT
6
CORTÈGE N°2
La ville pue. Moi, poupée.
Lhomme. Frappée. La came, peut-être.
Ils ont frôlé mes reins, salé mon ventre ;
(il, venu chasser les chiens, chassa la nuit.)
Doutes et blancs sous les néons ;
je pisse contre un gant sous légout.
Relent immonde.
La nuit éteint mon mot,
et ce quil reste de lumière coule en crachat
et crachat giclé trop tard
deviendra cendre contre les dents.
Un vent redouble d'effort, tourne et
se cogne contre les ruines.
Rien n'y fait, hélas.
7
réveil
lumière, parole et
destruction
Je me lève, raide, mâchant des gestes et des râles.
Un vent redouble d'effort,
tourne et se cogne contre les ruines,
s'agitant, ne trouvant de sortie nulle part.
Pas d'éclair dans la bouche,
les mots éteints
traversant le champ du dehors.
Se coller les veines à la crasse,
sur la peau, dans la boîte où cogne le vent.
sur la peau, sous les peaux ouvertes
par le sexe transmis des chiens.
(Tant de morsures grondent ces silences-là, encore.)
Rêve la fraîcheur,
Rêve d'eau qui s'écoule entre les doigts.
Mais le collant à mes genoux,
le collant fendu à mes genoux, ce qui coule et le gant.
Le même vent qui plaque un sac plastique contre mes jambes.
8
départ du corps
pourrir vivant
Tout se replie et me cogne.
Tout se replie et cogne.
Petite histoire à se conter sous la douche.
À en prier l'orage,
le temps que tes vices soient comptés, belle cité de ruines !
Tel est mon joli « fragment de corps et de nuit ».
Après, que faire ?
On ne sait plus vraiment.
On ne sait que plus que faire,
On ne sait plus que penser.
Qui croit porter le monde quand le monde tombe ?
9
Tout se replie et me cogne.
J'avais trois ans peut-être et mon corps
tâtonnait encore la densité des choses.
Petits jouets sur le parvis. La nuit ne
connaissait de moi que mon rire, et, parfois, les
gouttes de pluie tombaient de là-haut sur ma
tête.
J'avais trois ans peut-être, et la ville ne
s'immiscait en moi que dans la faim ; non, je ne
m'en souviens pas.
Le temps n'était pas plus beau mais j'avais un
toit, et le matelas couché au sol n'accueillait
que moi.
10
souvenirs
barraque alsacienne
et toit fuyant
Quelques années plus tard, je me rappelle
le frisson de mes petits pieds sur
lasphalte mouillé. Jy ai marché, chanté
à peine deux heures. « Bonsoir, vieux
poteau électrique, voilà mon chant, je te
le confie. » Je portais une robe rose,
j'avais une sensation coton tout du long,
une pastille à la menthe glissée dans ma
ballerine, et à six mille kilomètres,
Lehman Brothers seffondrait aucun
des frères ne me connaissait, je crois.
11
fugue involontaire,
forêt de Haguenau ?
Tel est mon joli « fragment de corps et de nuit ».
« Oh keep the Dog far hence, thats friend to men,
« Or with his nails hell dig it up again!
On ne pardonne rien.
La rue. Cent plaies et deux carcasses
ne se pardonnent pas.
Les portes se ferment
et scellent le moindre. Je ne peux même pas.
Dire le mot.
Il n'y a nulle fuite possible
dans l'amoncellement du vide.
Aucune pierre où se cacher.
Aucune pierre assez fendue pour m'y cacher.
Aucune ruine offerte ?
12
assise sur un bout de
trottoir
le visage entre mes
mains, les fesses
mouillées
Hé, dépêche-toi, le vent va tout emporter !
Quoi ? Je suis déjà trempé, laisse-moi finir !
Tas vu le sac plastique ? Il la suit comme un
chien, chui mort.
Arrête de parler, je nentends rien avec cette
pluie !
Et la lumière ? Tas payé pour ça ?
Non cest pas ma faute si elle clignote !
Regarde tes mains ! Sales, sales !
Ça brûle pas toi ?
Faut pas toucher, ça fait mal
Regarde ! Y'a ton truc ! Tu le perds encore !
13
dialogues parasites
Tu crois quelle comprend ce quon dit ?
Elle écoute, mais ça lui passe au travers.
Quest-ce quon fout de ça ?
Rien, on le regarde tomber.
Et elle, là, elle pleure encore ?
Oui .
Bon, on rentre ?
Non, pas encore, faut que je sente la pluie sur
mon corps.
Elle va finir par se lever, tu verras.
Ou par tomber.
QuimporteQu'importe...
14
dialogues parasites
15
fin et retour
Je le concède, la solitude est oracle et vérité.
Cette histoire se conte à en prier l’orage. La
misère et la nuit ne réclament qu’un témoin.
Petite histoire à conter ne se ferme pas mais
progresse et s’enfonce. Ceux qui croient la
tenir se perdent déjà.
philippe minot
16
CORTÈGE N°2
foudroiements
et effondrements
Le monde s'effondre
en des torsions d'effroi
là ce sont bombes
explosions
et débris et gravas
là vents en tourbillons
toujours racines fastigiées à l'imploration
là cascades et éboulements
De boue l'œil s'inonde
aux sanies de la désolation
Et rien ne viendra du présent des semailles
Dans l'écoulement des jours
plutôt l'effritement
dans la cendre
le vouloir ensablé
les corps désagrégés
aux grisailles des murailles
gagnent les ombres en poudre
du nombre des fantômes
17
monde dont s'émondent
les fruits gâtés qui dégorgent
dans des bruits d'orage
la pluie qui inonde
vents débarbouillant les yeux
les cieux émondés
gaste épileptique
harmonie banie du fief
en décrépitude
fanions de l'usage
les déchets vrillent et cinglent
au vent des décharges
retrait des argiles
au sol d'agiles fissures
la vie s'étrécit
feux et incendies
bras armes bruits et débris
le fruit des combats
18
Sémélé
ton oeil dévoyé
et tes pas derniers
aux degrés d'or
aveuglés d'éclairs
Ces clairs escaliers dévalés
Foudroyé
ton corps éventré
au bas des marches gravies
Ce trépas gravide
d'une extase qui ne vient pas
ni ne passe
19
paucité
Résiste
le peu qu'il reste
Des décombres des cendres
aux cités foudroyées
Héron cendré zigzaguant à son nid
rare haruspice d'augure faste
L'antienne du bal ancien
La balancelle baillant au ciel
Un rien de jeu dans les contraintes
remords regrets
rejets contraires
Quelques cartes de maldonne tôt gachées
L'esthétique à coup de trique
Un plâtre de poulbots enlacés au chevet des nuits
Une Velléda dans l'odeur fade des résédas
aux vêpres du jardin affraîchi
Quelques Velléda rouge ou vert au caniveau du tableau
où traînaient craies et poudres
Ces poutres qui travaillent
des souvenirs qu'on se refuse à croire
Quelques ombres surgies des années
des bouquets de fleurs fanées
les prénoms d'amours flânées
Ce soleil noir d'œil hagard
des essoufflements
Sémélé ton foudre
la bière des passés
Sémélé ton foutre
le feutre d'un tapé
où s'encastre le crâne
le feutré de nos espoirs
Ci le récit du glacis
Si peu qu'il reste
Résiste
20
Le temps est au grondement au tonnerre aux éclairs
Le temps est au démembrement
à la tornade
à la lacération
À la pluie de roquettes
Le temps est au blessé au mort
Le temps est à l'otage
aux mains menottées
À la balle dans la tête
Nul désormais accoudé à la fenêtre
calme cigarette humant
écoutant l'oiseau chanter
Au vasistas béant
balancent quelques câbles cisaillés
Et vole éventé un lambeau de rideau
ou de peau
C'est dans la cave qu'on fume
les doigts encore crispés sur la peur et la rage
La main tremble toujours
de déchirure
écrasée de fatal
seul le débris
fume encore
21
aux oliveraies
nulle cigale à crisser
sur ces corps sciés
ruines obombrées
au chaos gris des décombres
cendres là de l'homme
chaos incendié
pénombré de cendres mortes
l'orphelin fiévreux
décombres grisés
au chaos d'ombres brisées
consumé à l'aître
parmi les dépouilles
sentir encore la rose
du matin déclose
22
YVE BRESSANDE
SALLE RÉVEIL /
SALE RÉVEIL
23
CORTÈGE N°2
[poème éphiphanesque]
Ribambelle de mots énigmatiques
des mots d'ombres anesthésiques sique zague
Thiopental / Propofol / Étomidate / Kétamine /
Halothane / Isoflurane /
Desflurane / Sévoflurane / Etceterane.
molécules bulles goutte à goutte
de veines en veines déveine
Clou de girofle / Cocaïne / Curare / Mortfine /
Mélatonine / Papaver somniferum
des mots des mots sommes des mots addictifs
des mots troubles de lucidité claire voyance
discernement
Paracetamol / Tramadol / Codéine / Ibuprofène
analgésiques antalgiques nostalgique
ils dansent la gique
le mot ment le mauvais mot ment
la solution solution à 10% injection perfusion
avalement dissolution
brume flottement enivrement
vacillement vertigement
qui tire le tapis savonne la planche
n'y plus rien comprendre entendre voix de gare
âge de raison déraison hésitation
quel est ton nom Hypnos / Morphée / Somnus
les yeux se voilent l'esprit s'égare
lèvres molles goutte au nez ailleurs en fuite
assourdissant silence blanc sur la ligne
pêche miracul [?]
friture parasites neige brouillage brouillard
la poésie elle est où dans tout ça
chausser ses lunettes prendre une loupe
un microscope un stéthoscope un stroboscope
un kaléidoscope
clamer déclamer proférer chanter chuchoter
sachant que ailleurs toujours mieux ailleurs
24
c'est où ailleurs
plus tard toujours plus tard c'est où plus tard
chuuuuut Fais dodo Colas mon p'tit chuuuuut
le dire au vent au vide aux sourds aux cons
aux consciences maladives
sauver le mort sauver un mot
mon nom le jour fatidique mon heure venue
« Répétez dit le maître ! »
pas péter le dimanche à la grand messe
répétez après-midi à la procession
répétition répétition c'est poétic hallucination somnambulic
ça sert pas à grand chose ça n'amuse plus les enfants
en quenouille delirium ça change rien
face à un marchand d'arquebuses
face à un marchand de sommeil
face à un drone à un missile de croisière
à un président à vie élu à nonante neuf pour sang impur
à une multinationale toxichimique
agrodéforestière surpêcheriefindustrielle
à un fin fond dinvestissement d'ensevelissement
pin-pon pin-pon pin-pon
ça dérape impasse & manque turbulences tête dans le cul
mieux vaut veau t'il dormir dormir dormir
se laisser bouffer par les lions
ça ne fera qu'engraisser les lions
foutre le camp sur une île déserte
ça ne fera qu'engraisser les requins
se suicider s'immoler se défenestrer s'euthanasier
les morts ont toujours le tort d'être mort
sacrifice ne change rien ne résout rien
ne résossolutionne rien
mort ne fera rien changer
pourquoi vouloir changer
pourquoi vouloir changer le cours des choses
pourquoi vouloir changer le cours des fleuves
25
pourquoi vouloir changer le cours de la bourse
belle ou moche histoire un loup un chien
il était une fois
pour se sentir un peu moins rien
rien face à la multitude
rien face aux temps
rien face à rien nada néant
jamais à la bonne adresse N P A I
la flèche rate sa cible
la seringue passe à travers sang volé
le vers s'émorragise s'émorragite
s'auto-persuader que ne rien dire ne rien faire serait pire
suggestion résurrection érection pour
les générations futures
les enfants qu'on a pas eu
les scorpions qui rigolent
les bactéries qui s'en foutent
y aller poitrine découverte sans peur sans peur du ridicule
crier éructer s'égosiller y croire quand même y croire
se dire que dans mille ans
se dire que demain matin
se dire qu'aujourd'hui
se dire que là maintenant tout de suite
ça ira « Ah ça ira ça ira ! » ça dira
jusqu'à épuisement
jusqu'à épuisement des forces
jusqu'à épuisement des mots
jusqu'à épuisement des temps
résister à la tentation à la fuite de la mémoire
apprendre par cœur en choeur réciter en boucle
de mémoire de langues vives de vives voix
délivrer les rêves
délivrer un peu de sens
délivrer les girouettes du vent
délivrer les langues pendues
26
les réanimer bouche à bouche de bouches en bouches
tourner les langues mille septante-sept fois
sept mille sept cent septante-sept fois
se réveiller en fanfare inspiré
souffler inspirer expirer reprendre son
détacher les mots ar-ti-cu-ler
poésie source médicalmente guérissante
bis repetita placent
instinct de vie instinct de survie instinct de sur vivre
ouvrir bouger rallumer regarder
Où [?] blanc partout silhouettes fantômes
musique des anges bip'
patience attente la prochaine marée haute ou basse
re fer mer les é cou tilles
. . .
27
II
CORTÈGE N°2
MARIE-ANNE SCHNERB
QUAND JE
REGARDAIS L'AIR,
LES NUAGES
PRENAIENT DES
VISAGES
D'ERMITES
29
CORTÈGE N°2
suivi de :
Cinq visions d'Isaïe
Vitre
« Quand je regardais en l'air, les visages prenaient des visages
d'ermites. »¹
Une statue de Bouddha est assise sur le comptoir si on regarde de près il a
de la terre sous ses pieds
une montagne noire est un gouffre
Mode d'emploi
prenez une poignée de feuilles de thé chinois ou japonais coréen à la
rigueur mais seulement s'il a lu Confucius faire bouillir de l'eau claire la
verser dans une théière en fer ou en fonte y jeter le thé le boire chaque
gorgée raconte une histoire écouter les histoires les oublier une fois que la
théière est vide
Les trains qui traversent des ponts la nuit sont comme des fantômes
Je n'aime pas voyager en bus mais j'aime leur parler en secret
Le chien me comprend mais il ne veut pas me répondre
Jai chez moi une petite figurine en cuivre dorée le matin je la mets dans ma
poche et son poids me rassure quand il fait trop chaud je la glisse dans ma
bouche et je la suce cest comme boire de leau
Mon grand-père adorait le corned-beef ça lui rappelait la guerre un jour
jen ai mangé et ça ne ma pas plu un jour jen ai mangé javais Faim et
cétait le meilleur repas du monde
Jai écrit avec de lencre noire sur du papier blanc et quand je nai plus eu de
papier jai écrit avec de lencre noire sur mes bras blancs je ne sais pas ce que
je ferai quand je naurai plus dencre Je ne sais pas ce que je ferai quand je
naurai plus de bras
Le courant d'air pendant la nuit
Un appel à partir
30
Lami qui vous écrit une lettre
Un appel à partir
Lherbe est plus verte ailleurs
Un appel à partir
Le bruit de la pluie sur les rails
un appel à partir
Avoir le cœur comme une cloche déglise
Ne pas aller à léglise toujours aimer lodeur de lencens
Rue vide
autour les boutiques ont lair fausses comme des jouets en plastique
Derrière un homme a chanté une chanson très ancienne dans une langue très
ancienne je ne lai pas comprise
Je pense que cétait une chanson damour toutes les chansons sont des
chansons damour
Les mots les plus importants sont Soleil Lune Hamburger Montagne
Eau Poésie Arbre Chaussures Main Œil Planètes Chat
Les mots les moins importants sont Tous Les Autres
Je nachète jamais de vin je préfère boire une cannette de coca
Parfois il faut savoir rentrer
Parfois rentrer ne veut plus rien dire
Je nai jamais eu de transe peut-être parce que cest la pièce qui tourne et pas
moi
Un matin un ami a écrit un haïku avec des pierres
Le soir le vent lavait appris par cœur depuis il le récite souvent
31
Ne pas faire lamour aussi intensément quon fait lamour lacte de ne pas faire
est aussi bon que lacte de faire
Chez moi cest le lit dune rivière
Ailleurs cest mon œil qui regarde
Parfois quand je respire jai peur daspirer le ciel ensuite je me souviens que cest
le ciel qui maspire
Je marche sur les pas de Bouddha je me lave aux mêmes sources je mendors
sous les mêmes arbres
Bouddha a marché sur tous les chemins de la terre il sest lavé à toutes les sources
il a dormi sous tous les arbres
Moi je ne souffre que mes
douleurs et je ne pleure que mes larmes Bouddha a pleuré mes propres
pleurs et son âme a embrassé toutes les âmes
La terre est un grand monastère la route cest le cloître la boîte crânienne cest
la chapelle Le corps cest la cellule avec un lit un lavabo et une armoire
Ce vieillard dans un carton cest
Bouddha
Ce vieillard qui marche pied-nus cest
Bouddha
Ce vieillard qui boit à la fontaine cest
un ange qui porte mon visage
Et
leau de la fontaine porte mon visage Et
Je porte le visage du vieillard et
Dans ma poche je porte la parole de Bouddha
Et
Dans ma poche je porte le pied de Dieu
Et
Il a de la terre sous
le talon
32
¹Les clochards célestes, Jack Kerouac (traduction de Marc Saporta)
Cinq visions d’Isaïe
Chant du serviteur
Je suis assis au sommet de la montagne
La montagne a quatre têtes
La montagne a deux corps
La montagne gronde sous moi
Elle remue
Sous mes cuisses la montagne remue
La montagne est une jument
Je connais son nom et elle connait le mien
Parfois je lui chante une chanson pour passer le temps
Mais elle ne mécoute pas
Elle ne répond jamais
La montagne se cabre sous moi
Ses têtes se tournent
À droite
À gauche
En haut
En bas
Devant
Derrière
Les yeux de la montagne sont blancs et aveugles
Ils roulent comme des pierres
Font des bruits de torrent
Ils pleurent des cataractes
Les yeux de la montagne sont blancs et aveugles
Sauf un
Qui se niche dans le creux de ma main
Et par lui je vois
Je vois à droite à gauche en haut en bas devant derrière
Hier et demain
Je suis assis au sommet de la montagne qui remue sous moi
Sous mes jambes
Et je regarde
33
Chant sur la ville détruite
Les gens qui marchent sont des fourmis
Si on les écrase
Ils meurent
Si on y met le feu
Ils meurent
Si on les enfume
Ils ne savent plus où aller
Si on détruit leur maison
Ils ne savent plus où aller
Les gens qui marchent sont des fourmis
Les gens qui ne marchent pas sont des fourmis
Les gens qui dorment sont des fourmis
Mais aussi
Les gens qui pleurent
Les gens qui rient
Les gens qui font lamour
Les gens qui courent pour fuir quelque chose
Les gens qui courent pour le plaisir de courir
Les gens qui portent des enfants dans les bras
Les gens qui mettent des petits chiens dans des poussettes
Et tous les autres
Si on ne les tue pas ils vivent leur vie de fourmi
Ils se concentrent sur toutes les petites activités de leur vie de fourmi
Ils se concentrent en attendant larrivée de lexterminateur Parce quon leur a dit que
lexterminateur viendrait Mais quand ?
On ne sait pas
On ne connait ni le jour ni lheure
Certains y croient
Dautres ni croit pas
Pas vraiment
Ça dépend des jours
Parfois oui
Parfois non
34
Parfois ça leur serre le cœur jusquà leur faire mal
Et quand je dis « ça » je veux dire « la peur »
Parfois la peur leur fait mal
Parfois ils ne la sentent presque pas
Des jours avec et des jours sans
Des jours avec la peur et des jours sans la peur
Elle va et vient dans le cœur des fourmis
Et dans celui des gens
Elle sinstalle dans leur cœur quand ils sont encore jeunes
Quand ils sont tout petits
Et elle grandit avec eux
Dun côté et de lautre
Accompagnant les gens qui marchent
Il y a lombre et la peur
Vocation d'un prophète
Mes chaussettes sont trempées
Et vertes
Le terme exact serait plutôt
Kaki
Cest ça elles sont kaki
Elles sont surtout trempées
Le tissu mouillé emballe mes pieds mouillés
Ce nest pas une sensation très agréable
Quand je suis couché et que je regarde devant moi
Je ne vois que mes chaussettes
Et dessous je devine mes pieds
Depuis que jai été foudroyé
Par dieu
Par la parole de dieu
Par la foudre
Depuis que jai été assommé
Par un mec bourré dans un bar
35
***
Par une grosse pierre décrochée de la montagne
Je suis souvent couché
Je suis couché dans une flaque
Je ne sèche jamais
La flaque ne sèche jamais
À cette altitude leau ne sévapore pas
Elle gèle
Ou bien elle reste de leau
Et moi je reste dans leau
Et moi je suis mouillé
Trempé comme une soupe
(Cétait une expression de mon père)
Il disait aussi « être frais comme un gardon »
Le gardon est un poisson deau douce
Il est reconnaissable à sa nageoire caudale rougeâtre
Et à son œil rougeâtre
Et à son épiderme pluristratifié
Je sais ce que veut dire rougeâtre
Je ne sais pas ce que veut dire pluristratifié
Je ne pense pas que je saurai reconnaître un gardon
Le retour des dispersés
Souvent je parle et personne ne mécoute
Parfois je crie et je chante
Parfois même, je mime
Pour que les gens comprennent bien ce que je veux dire
Pour que mes prophéties soient claires
Pour que mes messages soient limpides
Au lieu de reprendre dieu mot pour mot
(Parce quil faut lavouer, la plupart du temps on ne comprend rien)
Je paraphrase
Jexplique
Je suis pédagogue et didactique
***
36
Et pourtant personne ne mécoute
Alors au bout dun moment, je me tais
Je préfère me taire que de me vexer
Les messages dEn-Haut arrivent
Ils sont nombreux et toujours urgents
Mais je ne dis plus rien
Je fais de la rétention
Ma bouche est scellée
Alors En-Bas, il y en a qui sinquiète
Ils montent jusquau sommet de ma montagne
Ils me posent des questions
Quel est le sens de la vie ?
Y a-t-il quelque chose après la mort ?
Quest-ce que le bien ?
Pourquoi le mal ?
Et autant de questions idiotes pour lesquelles je nai, de toute façon, pas de réponse
Il ny a que quand je me tais quon mécoute
Cest drôle ?
Moi, ça ne me fait pas rire
Pendant mes moments de silence je regarde Ézéchiel
Il est assis sur la montagne den face
Il a des disciples qui lécoutent
Et qui lui apportent des panier-repas
Je ne suis pas jaloux, je constate
Et puis je décide de me taire pour toujours
En général, cest à ce moment-là quarrive un ange de dieu
Il tient un tison ardent au bout dune pince argentée
Il me lapplique sur les lèvres et sen va
Il ne dit jamais bonjour
Quand la brûlure sarrête, mes lèvres se remettent à remuer
Malgré moi
À ce moment-là les gens qui étaient montés redescendent
Et plus personne ne mécoute
37
Hymne daction de grâce
Prologue :
Deux hommes masqués chantent dans une langue qui nexiste pas. Ils
saccompagnent de tambours. Si le public nest pas diverti, il les hue et les deux
hommes doivent quitter la scène. Sinon, le public se tait et tout se déroule comme
prévu.
Acte 1 :
Cinq hommes et cinq femmes miment dix morts différentes. Les agonies doivent
être longues et presque insoutenables. Une onzième personne entre et agit
comme un chien au milieu des cadavres. Le public peut choisir de lancer divers
objets sur lui pour lécarter. Il peut également choisir de ne rien faire et
dobserver.
Entracte :
Il est interdit de quitter la salle et le silence doit régner durant tout lentracte. Le
public peut aider les techniciens à débarrasser les corps. Il est normal et même
encouragé de voler les effets personnels des morts.
Acte 2 :
Un acteur revêtu de draps blancs et jouant de la cithare interprète la chanson de
la Vie. Les dix cadavres ressuscités reviennent sur scène pour chanter et danser
avec lui.
Final :
Le public, revitalisé, se joint à la danse et au chant. Les festivités peuvent durer
entre quarante cinq minutes et une semaine.
38
Vitre
le soir, une fenêtre souvre sur le mur de ma chambre
je ne peux pas passer au travers
je ne peux que regarder
la vitre est toujours un peu embuée
je colle mon œil et je regarde
chaque soir elle montre un nouveau lieu
une personne nouvelle
derrière la fenêtre ce soir il y a une ville
cest une ville tout en verre où personne na jamais habité
une ville qui a poussé toute seule
comme parfois les champignons poussent au pied dun arbre après la pluie
cest une ville qui a poussé après la pluie
peut-être dans une flaque deau
ou peut-être pas
il y a une femme qui marche
pour elle, le jour na pas encore baissé
pour elle, cest encore la fin de laprès-midi
et elle marche au hasard
je lui fais signe mais elle ne me voit pas
elle ne peut pas me voir
elle a marché longtemps sans savoir quelle marchait
et puis tout à coup elle était dans la ville
et puis tout à coup quelque chose a parlé dans son oreille
quelque chose a parlé fort dans son oreille
et puis tout à coup quelque chose a dit
« va-ten »
39
quelque chose ou quelquun
ou personne ou rien du tout
peut-être quelle se lest dit à elle-même mais quelle na pas reconnu sa voix
ça arrive
cest difficile de reconnaître sa propre voix
ou son propre visage
parfois on se regarde dans un miroir, dans le reflet dune vitre et cest le visage dun autre
ou son visage à soi mais bizarrement tordu
comme reconstitué
les parois en verre des maisons en verre sont des miroirs pour la voix
des miroirs du son
ils étouffent
frappent
déforment
mordent
mangent
mastiquent
mastiquent très bien
et puis recrachent
et la voix recrachée nest plus tout à fait sa voix à elle
en tout cas cest ce quelle se dit
elle se demande depuis quand elle ne se reconnaît plus
et la voix répond
« depuis toujours »
ce qui nest pas tout à fait vrai
mais pas tout à fait faux la réponse se trouve entre les deux
c'est-à-dire au carrefour 40
celui avec un petit rond-point en cristal qui tinte quand on sapproche trop
cest là
elle marche dans une grande rue vide
elle marche et son pas ne fait pas de bruit
elle dit son nom à voix haute mais son nom ne fait pas de bruit
elle frappe sur les murs en verre
elle frappe sur sa poitrine
mais les murs ne font pas de bruit
et sa poitrine non plus
elle se demande quelle heure il est
mais la voix ne dit rien
alors elle écoute
il ny a quun seul bruit
cest le bruit dune goutte qui tombe et qui tombe et qui tombe
un robinet qui fuit
si on approche son oreille très près de la goutte on peut lentendre chuchoter
mais les chuchotements ne veulent rien dire
la nuit commence à tomber sur la ville
et le poids de la nuit fait éclater les maisons
la nuit est la chose la plus lourde du monde
la nuit commence à tomber sur la ville
alors la femme sen va
elle na pas été touché par un seul éclat de verre
41
:: FRONT DE LIBÉRATION
DES PRINCESSES EN DÉTRESSE ::
LETTRE OUVERTE
DU F.L.P.D
42
CORTÈGE N°2
[reprise]
*
La première sensation qui suit celle d'être au monde est celle
d'être tremblé. Les jambes, leurs os
faits buses d'air et de fluide.
*
Il ne s'agit pas ici de naissance, encore qu'il se puisse que
nous soyons plus ou moins
disloqués d'entrée,
car si nous avons perdu tout sens de réalité corporelle, ce
n'est pas de son fait, mais de celui d'un ensemble de
choses montées.
*
Nous ne sommes pas au monde, et la prise de corps ne
tient qu'à nous ; et cest par cela même qu'il peut être
traversé. La réappropriation du corps ne passe-t-elle pas
par la descente dans son fond, pour sy loger et trouver
lassise vitale au tremblé ?
Si d'aucuns disent qu'il faut se dresser, puis :: déserter
l'Enfer, je tiens qu'il faut abaisser, forcer l'enfoncement
de Dieu".
*
Nous parlons depuis un non-lieu. Depuis la séparation
des corps. Nous ne sommes pas ce que nous prétendons.
Nous refusons tout rôle assigné par déplacement
stratégique.
43
Il ne sagit pas décrire sur, mais de faire advenir, par le
ressassement, par
létranglement de la langue dans le dire.
petit goulot. ressasse ton amant, son tout brut, qu'enfin l'on
saisisse un peu ce qui te monte en dedans,
non ?
« désarmer le lecteur à chaque mot »
syllabes à demi-chantées
souvenirs des terres salines
langoisse de lattente originelle
butant dans la neige
44
BENJAMIN MILAZZO
L'AIR PÈSE DE
TOUT SON POIDS
45
CORTÈGE N°2
Je levai les yeux jusqu'à croire, le menton levé, que je pourrais voir mieux et défier lair.
Au-dessus d'un des deux rideaux de roches,
le ciel faisait descendre une couleur
toute pleine d'intensité.
L'air pèse de tout son poids.
Contre les falaises aux millions d'années
je respirais avec la sensation
de prendre au rebond
une fracture du temps
et l'inscrire dans une infime fêlure
visible sans trop deffort
sur cette roche rouge aux rares marbrures grises.
Le rouge grenat s'accroche
au ciel d'ecchymose.
L'air pèse de tout son poids.
Le vent glisse sur le torrent
et le bruit du courant de l'eau forme un balais épais et froid.
Je me sens avalé, balayé tout entier
dans le ventre géologique,
digéré par le courant anesthésiant
sous le ciel qui plombe les mesures
d'un vent déchiré d'intensité.
Du sang dégouline des parois devant moi,
une matière visqueuse rendue à la rivière
dans le creux du sublime.
Cet instrument m'apprend malgré moi
à accorder mon corps aux pressions du vent
qui se prolongent en un grondement.
46
L'air pèse de tout son poids.
Il souffle à travers moi,
il me transperce,
il m'étouffe d'un sublime fracas,
il fait de moi ce qu'il commande
à chaque pierre inerte polie et froide,
il fait de moi un morceau détaché
des parois du temps,
asséché et inondé,
déchu des majestueuses roches.
47
CATALINA RAÍZ
DIX
LEÇONS
POUR
UN ABRI
48
CORTÈGE N°2
traduit de l'espagnol par
Nathan J. Beltràn
I.
Je suis une autre forme de la
mère et tisserande et je tisse mon
amant à la fuite · si je le fais lin puis
chevreau et porc enfin, sachez ceci : il
ne sera plus le sourire et la larme dans
vos bouches.
Ô Beauté Ô Brume dans la geôle et
toute chose nue : viens viens reprends
l'amant à leurs bouches, ô mère des
vivants ô toi · des femmes rient et
prient loin et viennent à toi, elles
prient qu'il s'épuise, qu'un ange ne
creuse plus la vase et tamponne nos
pleurs encore.
« Nous sommes de la Brume mais la
Brume sétire dans la geôle et nous
oint. »
49
II.
L'abri naît d'un nous dense et
refusant qu'Elle ne soit là que dans
l'extase et l'ailleurs · chaque matin,
dressant nos chairs, qu'Elle y passe,
se remémorant un à un le visage des
gardiens, la joie vraie du crachat,
gouttes aplaties contre les chaînes de
la matière et du temps.
S'organiser, penser chaque jour à
sortir du cycle dévastateur et des
banquets immondes.
50
III.
Chaque jour, se faire feu de veille, à
fredonner danser sans cause crachant
sur la prise de nos élans, maintenant
nos gestes et clameurs libres et de vie.
Chaque jour, recommencer : frotter
le corps au corps, lâchant mille sons
et humeurs réclamant, haute et nue,
le droit à la candeur, à la dague par la
rose, jouant coulant de sueur et de
brousse ; exigeant le droit, défiant ce
désuni du monde, de nêtre pas là
mais · arrêtés gueulant chantant sur
la colline, y semant le feu, réclamant
le droit le droit le droit · à la rose par
la dague.
Chaque jour, tenir bon,
reprendre.
51
IV.
· Le feu, la brousse, le souffle
des corps · je veux tenir l'abri,
comprendre la geôle · en explorer la
limite et l'éclat. Je texile avec moi et
dans cet exil tu deviens refuge.
J'ai trouvé refuge en ton exil et te
lègue le mien, que tu t'y prélasses. Je
te baise avec mes mots et te câline à
m'en perdre.
Lexil engendre sa propre
sagesse, obstiné à vouloir construire
labri dans un geste.
52
V.
Un abri se déploie dans la multitude,
tu le répands ci et là · mille abris
naissent et meurent et renaissent
ailleurs, prolifération dans les rues,
dans les corps et les nuits.
Nous l'appellerons Bohème.
53
VI.
Je ressens une fente de la geôle, la
peau brûle et souvre · je ramasse mes
images, brume et fleurs, et les range
dans une boîte. Javance, vacillante, et
ta chair se creuse · un ventre moffre
passage. « Alors tu vois, haletante ? »
j'avance suintant de mon exil au
tien. Labri memporte · éclat, faille ;
brume et lumière.
54
VII.
Brume, fleurs, baies roulent de mes
doigts et je les glisse dans ton ventre,
boîte ardente. Nous levons la voix
dans la nuit · psalmodie, cris, rires.
Nos poitrines battant battant
ensemble olé tambours contre la
geôle. Nous hurlons nos noms, les
perdant aussitôt « nous ne sommes
plus quun éclat commun, un
tumulte de rires et de sueur, un
millet de peau frottée jusquà
livresse. »
55
VIII.
La Beauté passe dans ma peau, picote
dans ma brousse et mes eaux. Je la
passe à toi, nos corps l'entrepassent,
rampant des cuisses aux pouces,
suintant d'un millet de peau à l'autre,
on sent qu'on la garde en soi, tu la
couche je la couche sur nos chairs, je
le pousse dans mes gestes, et mes pas,
pris dans le vent plus tard.
« Elle éclaire ma paume ô mes lèvres
et mes yeux · me voilà feu de veille
encore. »
56
IX.
Jupe en papier kraft, marchant
dans la rue · immondes élans vendus ;
étouffement des cris et la main qui
prend · la guerre silencieuse des
corps. « Elle a traversé ma peau et
mes os, l'isolant moins. »
Faire un pas plus droit,
garder l'amant et la Beauté, qu'ils
accompagnent dans ça qui heurte et
nous empoigne.
57
X.
Intégrer chaque leçon mais ne plus
les lire ; faire d'elles un peu de Beauté
qui passe en vous, et qui persiste et
persiste encore.
Elles sont une autre forme de la mère
et tisserande, et vous tissent à la fuite.
58
SIHEM BENMINA
D'ABORD LA FIN
59
CORTÈGE N°2
dabord un regard plutôt noir mais dans la bonne lumière
oui tout dabord ton regard de lautre côté de la pièce
dans la lumière la lumière dun soleil presque frais
dabord ton regard noir dans cette proximité de hasard
ensuite lénorme joint que tu tasses et mes cils
interrogatifs et tes yeux rouges soudain braqués de mon
côté dabord aussi un apparent désintérêt oui une sorte
de désintérêt mais cest la lumière douce et fraiche qui
avait raison à ce moment-là et non tes yeux noirs ni ton
apparente indifférence cest la lumière et mon envie de
proximité mon envie de ce joint que je tai vu tasser puis
quelques lattes discrètes ensemble à peine le temps de
comprendre que tu ne parles pas français et moi je ne
parle pas larabe mais ma3lich le rire et le haschich
suffisent parfois à faire dictionnaire ensuite nos deux
corps séparés et les réminiscences de choses qui ne se
sont pas encore passées mais que la chair peut sentir la
chair peut rêver la chair peut trancher puis un incendie
dans le ciel pourtant rempli de fantasmes puis un rendez-
vous oui une sorte de rendez-vous chez toi à cause du feu
avivé par les caprices du vent puis lespace entre nos deux
peaux réduit brutalement si bien quaussitôt nous fuyons
cette proximité nouvelle en nous jetant dans le vent puis
une balade et lintensité de lenfance dans ta bouche une
enfance qui comme celle de mon père a connu des jeux
risqués des cache-caches dans les flaques de sang des
course-poursuites sur les tirs et les cris des soldats qui
entrent dans lintimité des maisons lenfance telle que je
ne la connais pas et ces souvenirs racontés par ta bouche
dadulte sont encore trempés dans une féérie de môme
exactement comme ceux coincés entre les dents de mon
père oui car les minots algériens et les minots
palestiniens grandissent avec des souvenirs communs
coincées entre les dents et pourtant cest sur cette
question si tu peux c question opies ce texte, mentionne
l'auteur ! cette 60
question de lintensité que tu insistes et non celle du bien
et du mal ou celle du juste et du terrible mais bien
lintensité une intensité qui te suit aujourdhui dans ta
grande tranquillité nous avançons dans la tempête et ça
fait rire les gamins fonsdées que nous sommes on rit de
ça on rit du ciel on rit du sort on rit du rire de lautre et
nos rires cannabissés recouvrent toutes les ironies du
mektoub juste le temps de quelques petites bourrasques
de poumon le rire est là entre nous et pendant ce temps
par-dessous la discussion nos corps qui luttent pour se
rapprocher et contrevenir à toute raison toute décence
toute pudeur puis assez soudainement un geste sur ma
joue un geste comme un défi un geste décrétant
simplement tant pis pour le reste oui tant pis pour lautre
tant pis pour nous qui gouterons probablement aux
flammes de lenfer et moi qui ne sais plus quoi faire de
lévidence étirée dans les quelques centimètres restant
entre nos deux peaux moi qui en marchant place mes
deux mains sur mon cœur au même endroit que lorsque
je récite la fatiha car tout est là tout va vite et mon cœur
fou ô maudits battements transperce ma poitrine puis
dans mes prières ton nom est ajouté aux côtés des tiens
que dieu les regarde que dieu les facilite que dieu favorise
toujours ceux qui défendent leurs terres puis nous
sortons des jeux denfants et marchons jusquà ma rue où
nous nous disons adieu puis mon lit vide et la nuit fraiche
comme la lumière autour de tes paupières rouges et
noires puis linsomnie car mon âme entière remontée
trop haut sous ma peau puis les flashs de choses pas
encore vécues mais que le corps construit petit à petit
dans lopacité de la nuit cette nuit hantée cette nuit
comme une traversée où je revois la palestine sur le mur
et lalgérie sur ta peau et moi devant le tableau où tout se
mélange le sens et la matière le peuple qui sest libéré et
je 61
celui qui bientôt goûtera à la même liberté inshAllah oui
jentends à nouveau dire inshAllah et à nouveau je souris
dans lobscurité de mon lit en pensant quAllah dans
cette langue qui est la tienne et qui aurait dû être la
mienne Allah est générique Allah est le plus grand Allah
est là oui un dieu pour tous et puis cest tout cest plus
facile comme ça voilà ce que je pense lors de ces heures
habitées ces heures de dérive où mon âme sest collée aux
parois de mon corps comme un habit trempé de sueur
pendant que ma tête cherche encore à ressusciter mes
couleurs sur ta peau ton pays sur le mur et tes paupières
noires brodées de lumière et je pense à notre adieu qui
sest déroulée comme ça prophétiquement sur du blanc
et du vert dans le silence imposé par la certitude davoir
pour commun lhéritage dun saccage et enfin je repense
à ce moment où lon sest quitté devant ces mots et chairs
éparpillées dans la rue près de chez moi abandonnant à
lespace entre nous les espoirs fous et leur cortège de
morts innommées
62
III
CORTÈGE N°2
64
Belle Starr Story, sorti en 1968, est un western spaghetti
italien réalisé par Lina Wertmüller, mais créditée sous le
pseudonyme Nathan Wich. Et oui, Nathan Wich parce
quà lépoque, cétait une pratique courante dans le cinéma
italien. Les producteurs aimaient les pseudonymes
américains pour séduire le marché international, surtout les
États-Unis, fadas de western spaghetti italiens mais pas
vraiment enclins à faire confiance à un réalisateur qui ne soit
pas américain, et encore moins à une réalisatrice... Un pseudo
était aussi une manière de contourner certains préjugés et de
protéger le film : dans les années 60, le genre du Western
explose, avec sa violence ultra stylisée, ses clichés, ses saloons,
ses duels aux pistolets dans la poussière jaune, et Wertmüller
décide de placer une héroïne au centre de tout ça. Cest lun
des rares films du genre à le faire, alors autant limiter les
préjugés en ne mentionnant pas que la réalisatrice est aussi
une femme. Trop, c'est trop pour le public essentiellement
masculin.
BELLE STARR : UN.E WESTERN
———————————————————————————————————————————
BERLINGOT
LA CHRONIQUE DES FILMS DE SÉRIE B
65
Mais attention, le film ne se limite pas à cette « audace
» narrative. Avant de passer à la réalisation,
Wertmüller avait été assistante, pas sur nimporte quel
film, mesdames et messieurs : Huit et demi de
Federico Fellini, expérience formatrice, of course.
Formatrice pour jongler avec le grotesque, le baroque,
le rêve et la mémoire, pour mêler réalité et fantasme et
faire éclater la narration afin dexplorer la psychologie
des personnages. C'est ce que fait le film qui est
structuré autour de nombreux flashbacks, qui
cherchent à explorer la psychologie, les traumatismes
de Belle, et à dévoiler ce qui motive sa vie d'hors-la-
loi. Cest ambitieux et original pour un western
spaghetti. Ça oscille entre portrait psychologique,
hommage au western, expérimentation narrative et
spectacle visuel. Ça crée forcément un rythme
particulier, le spectateur passe du présent au passé, de
laction à lintrospection, parfois sans transition claire.
Dans un film comme Huit et demi, ça passe, mais dans
le grotesque de Belle Starr, cela désoriente souvent.
Les flashbacks fréquents coupent la tension et
déséquilibrent le rythme. Cest un peu maladroit, on
adore.
La stylisation est partout. C'est beau, c'est du
Berlingot. Elsa Martinelli, qui incarne Belle, est
vraiment charismatique et très belle, même si son jeu,
à limage des autres interprètes, nest pas latout du
film (doux euphémisme). Sa tignasse rousse brûlante,
sa combinaison en cuir, bref : tout pour transformer
Belle en icône visuelle autant quen héroïne féministe
(l'un n'empêche pas l'autre). Néanmoins, si le corps et
les vêtements de Belle deviennent presque aussi
importants que ses décisions ou ses motivations, je ne
suis pas sûr quon puisse parler de male gaze ici,
dautant que comme nous l'avons déjà dit, il y a une
réelle dimension féministe pour lépoque.
BELLE STARR : UN.E WESTERN
———————————————————————————————————————————
BERLINGOT
LA CHRONIQUE DES FILMS DE SÉRIE B
66
Les scènes daction souffrent des mêmes faiblesses que
le reste du film, spectaculaires ou esthétiques, mais
inégales ou maladroites. La fusillade au saloon, où
Belle affronte seule plusieurs adversaires, typique du
genre pour montrer la bravoure du personnage (ici
avec l'agilité en plus), souffre dun montage rapide et
chaotique, dangles instables et dune coordination
plutôt approximative des combats. Ses défauts ne sont
donc pas différents de ceux des autres westerns de série
B, il possède tous les clichés du genre mais,
volontairement ou non, le contraste avec Belle les rend
presque ironiques. C'est bien cela la force de ce nanard
: l'insertion dune figure féminine avec un passé et des
expériences de vie de femme (tentative de mariage
forcé, entre autres choses) au cœur de cet univers ultra
codifié.
BELLE STARR : UN.E WESTERN
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BERLINGOT
PAR THOMAS BENES
Lina Wertmüller
Affiches et portraits issus du film Il mio corpo per un poker, Piero Cristofani et Lina Wertmüller. Tout droits réservés à leurs ayants droit.
SAMIR ÉLIAS
S'INVISIBILISER
[être un homard, craindre les sirènes
et voir les fantômes]
67
CORTÈGE N°2
Télévision. Jentends dire que les minorités sont
invisibilisées. Ha ! Jouvre le dictionnaire (oui, encore lui,
on ne change pas une méthode qui marche à moitié),
invisible : « qui nest pas vu ». Très bien, sauf que dans la
vraie vie, en tant que minorité, tes pas invisible, t'es vu,
cramé partout. Dans la rue, les flics te voient avant même
que tu tournes la tête, les caméras te repèrent, à la
campagne on te fixe derrière les rideaux comme si tu
allais voler le chien du voisin. Bon, cest vrai, je
comprends ce quelle veut dire : sur les plateaux, les JT
hop ! Disparu pour le mieux, utilisés comme caution
pour le pire. « Il faudrait quon se rende visibles » et
pourtant, moi, jai toujours ce vieux refrain « profitons de
linvisibilité », soyons des ombres, insaisissables et
invisibles. Le problème, cest que dès que je mets un pied
en manif, je suis pas une ombre. Je suis un gros panneau
clignotant : « HEY ! VOICI UN CORPS À
MATRAQUER ! ». Linvisibilité, cest un luxe. Alors je
me dis : peut-être quil faudrait abolir le mot. Arrêter de
dire « les invisibles » et inventer un autre terme, genre les
hyper-visibles-inmontrés. Non, trop long. Les phares
humains ? Non, ça fait pub Renault. Bordel. Et si on
arrêtait de chercher ? Parce quau fond, quest-ce quon
veut vraiment ? On veut vraiment être visibles dans leur
cadre ? Cest-à-dire finir décor de plateau télé, servir de
caution aux débats pourris « Et maintenant, le point de
vue dAbdel et du pauvre de service pour nous parler
dune réussite féministe : une femme au CAC40 ! Waouh
! » (applaudissements enregistrés). Lutter pour se
retrouver dans la maison de lopposant ? Non merci. Moi
je veux quon rêve de tout péter, darracher le cadre, de
foutre le micro en lair jusquà ce quil explose. Moi, je
rêve dêtre invisible, je rêve que dans la rue, on ne me voit
pas, parce que je suis de ceux quon naffiche pas mais
......... 68
BILLET D'HUMEUR
_________________________________________________
quon regarde en premier. Les pauvres, les arabes, les
queers. Je suis là, devant mon écran, il est tard, je bois de
leau tiède parce que jai décidé un jour décrire plutôt
que de gagner de largent. Et jai ce mot qui tourne en
boucle : INVISIBLE INVISIBLE INVISIBLE. Ça
fait presque mantra. Je ferme les yeux et bam ! Je vois un
cortège de fantômes, sauf que leurs draps blancs sont
tachés de gaz lacrymo. Ils avancent, ils chantent, et moi je
me dis mais pourquoi des fantômes, encore ? Est-ce que
jai pas déjà assez la gueule de cadavre en survie en survêt
pour quen plus mon imaginaire mhabille en mort-
vivant ? À ce moment-là, jentends une sirène au loin, une
qui fait pimpon, pas une qui chante, enfin, les sirènes qui
font pimpon chantent à leur manière, bref, je me dis que
cest peut-être pour moi, je me dis que les flics vont
débarquer dans mon salon parce que jai osé écrire « péter
le cadre » et que sait-on jamais, lépoque, mes amis, nest
pas des plus safes. Je regarde autour de moi, pas de sortie
de secours, juste une fenêtre qui donne sur la cour. Est-ce
que je saute ? Est-ce que je négocie ? Et si ce nétaient pas
les flics mais les ambulanciers, hein ? Ceux qui viennent
pour te dire gentiment, comme dans ma dernière
chronique : « Ça va bien se passer, mon petit père », avant
de te shooter et de te foutre dans une chambre sans livres,
dans un lieu pour te rendre véritablement invisible aux
yeux de tous. Et là je panique, si je nai plus de livres, si je
suis dans un asile, comment je fais pour rester visible ?
Est-ce que je deviens invisible pour de bon ? Jimagine la
scène : on ne menlève pas les lacets parce que depuis la
dernière chronique jai décidé de ne plus en mettre, mais
on me met quand même la camisole. Moi je hurle « Mais
regardez-moi ! Je suis visible ! Trop visible ! » un voisin
woke râle dans sa barbe imaginaire « Encore les
invisibilisés qui trinquent. » Et là, bam, contradiction
absolue 69
BILLET D'HUMEUR
_________________________________________________
absolue. Je suis à la fois surexposé et nié, clignotant et
effacé. Schrödinger version minorité. Alors quoi ?
Finalement, peut-être quon nest pas invisibles, pas
visibles, mais... translucides. On voit des choses à travers
nous, mais on ne nous voit jamais nous. On est comme ces
verres dépolis où tu distingues la forme sans voir le
visage, c'est ça mon seul drapeau, moi qui pourtant leur
dit merde à tous, j'ai beau dire merde à l'identité pourtant
on me l'impose. Identité de verres dépolis. Bof, j'ai
mieux, je repense à Nerval (encore lui, merde), au jour où
il est sorti avec son homard au bout dune ficelle. Tout le
monde la vu. Cest peut-être ça. Je suis peut-être ça, un
homard au bout dune ficelle. Rouge, énorme,
encombrant, que personne ne montre mais que tout le
monde voit.
Je vais arrêter décrire sinon on va me la faire remonter,
cette ficelle, et je finirai entièrement ficelé. Invisible ou
pas, la camisole nest jamais loin.
70
BILLET D'HUMEUR
_________________________________________________
RUBIS DIT :
Connectez-vous à la terre (mais la terre souffre) (petite connection au
ravage entre potes ?)
Alignez vous à la fréquence de l'Univers (l'univers veut la fin de
l'économie-monde)
N'accordez pas de temps à ceux qui ne vous accordent pas le leur
(accordez-leur un coup de pieds dans les parties)
Libèrez-vous des mauvaises personnes (des grands sacs en plastique, un
grand coffre, un grand lac... et hop !)
Je vous aime
Margaret !
moi, j'aime
cortège
RUBIS DIT :
Ne faîtes confiance qu'aux actes (un bon coup de langue en dit plus qu'un
long discours)
Ce que vous émettez, vous l'attirez ! (émettez l'autonomie politique)
Ton corps est un temple, honore-le (nique la loi Duplomb)
Sois positif et ta vie sera sous ce signe (pourrait-on dire aux porteurs de
MST)
Visualise ta vie idéale et invoque la par la pensée
(puis mets ta cagoule, et jette ce caillou)
Lâche prise et laisse la vie faire. (Comme je le dis à mon patron dans mes
rêves, ses pieds dans le vide, sa main sur la gouttière)
Et ça vous fait
marrer ? Pff...
C'est pas toi, c'est juste que notre
couple est un micro-dispositif de
biopolitique, tu vois ?
jure !!
AVERTISSEMENT : toute violence ou
action évoquée dans cette rubrique est
imaginaire et figurative (corps jetés dans le
lac, patron qu’on pousse dans le vide). Ne pas
tenter chez vous. Ou alors, sans laisser de
trace que ce texte a pu vous inspirer.
IV
CORTÈGE N°2
CHEMS BAKKALI
« KOULI, KOULI,
KOULI BENTI »
75
CORTÈGE N°2
Bismillah
au commencement,
il y avait
Jedda¹
ses pieds enflés
et sa pauvreté
dastre
des heures, elle pelait les légumes,
lavait la viande au vinaigre,
rinçait les figues et chaque grain du raisin, que le poison dégorge
et les chebbakias prenaient leur bain de miel
des heures
et elle nen mangerait rien
cétait une servante,
et cétait son triomphe
au Ciel
elle me disait : « kouli, kouli, kouli benti »²
de sa générosité agressive
et je mefforçais de minventer
une faim dadolescence
à me gaver de ses fruits pour lhonorer
la chair de lagneau encore coincée entre les dents
et les gencives
ainsi, Jedda mapprit
à navoir que des canines
au commencement, il y avait Jedda
sa langue que je ne comprenais pas
et son Dieu étrange
76
pour qui elle aspirait à coudre
son front au sol
on raconte que le Prophète priait la nuit jusquà ce que ses pieds enflent
un jour de jeûne,
Jedda me demanda de tirer la langue
elle voulait y voir le dépôt blanc, la preuve de ma faim dAllah
mais ma langue
était rose et luisante
javais huit ans et jétais fière dêtre un être doué de raison
Jedda caressa mon épaule en disant :
« miskina³, il ny aura pour toi que lEnfer »
tout était déjà détruit
il ny avait déjà plus de moineau ici, dans ce ciel stérile
sauf ceux qui venaient se poser sur son dos prosterné
dans son immobilité de tronc darbre chuté
sauf ceux qui aboient encore au fond de nos affaires de familles
on raconte que lorsquil était prosterné et que sa petite-fille montait sur son dos,
le Prophète ne se relevait quune fois quelle en descendait
au commencement, était
le crachat sacré de ma grand-mère
ses bisous humides et mes joues quelle retenait
ma morve denfant quelle essuyait de ses doigts
la moiteur de notre intimité
qui na peut-être jamais existé
car ce monde ma élevée à la trahir
vingt ans plus tard, je bois le thé sur la place de lIstiqlal
et je recense mes nuits blessées et mes conquêtes sales
pour obtenir de ceux qui me la refusent
mon humanité
c'était une perte, pas un gain
77
un bout de pain ne semprunte pas
je corrige les siècles passés
à tenter de me désunir du règne animal
je réclame
le chant du muezzin et lhomme qui interrompt son travail pour prier
je réclame ma petite délinquance et ma tristesse clandestine
je réclame lobéissance
aux parents
et le fantôme de Jedda qui mouvre la bouche de force
pour vérifier que
jai jeûné car tout ici se détruit
et je sais que personne ne viendra pour enterrer les morts au sud
et que désormais,
lâches,
nous appuyons notre foi et
nous fondons nos espoirs sur le tempérament vengeur de la terre
lapocalypse cache nos rêves
de destruction
je mincline
dans lair moisi de leurs langues et de leurs ancêtres colons
cette langue est aussi la mienne, qui massassine
et le mendiant assis sur ce sol stérile
ressemble à mon père
ma rage est exemplaire
Jedda ma appris à navoir que des canines
maintenant, jai huit ans
et je suis sur son dos comme sur un cheval à bascule
elle me chante une berceuse
qui profane ma langue
et qui sera, à lavenir, mon souvenir
splendide et révolutionnaire
« nini ya moumou 7atta ytib 3chana ou ila ma tab 3chana yTib 3cha jiranna.
nini ya moumou 7atta tji 3andou mou boubou falmidiya 9aqa fassiniya »
78
« Dors, mon bébé, jusqu'à ce que le repas soit cuit. Et s'il n'est pas cuit,
celui des voisins le sera, dors mon bébé, jusqu'à ce que ta mère arrive. Le
pain est sur la table et les bonbons sont sur le plateau »
je suis ce quils croient que je suis
je suis un enfant ingérable
je suis un animal
et je crois en la fin de ce monde
Al-Hamdoulillah
__________________________________
¹« Grand-mère » en arabe.
²« Mange, mange, mange ma fille », en darija marocain.
³« pauvre de toi », en darija marocain et autres langues arabes.
Hadith rapporté par Al-Amash : « Lorsque Ibrahim At-Taymi se prosternait,
les oiseaux venaient se poser sur son dos, comme sil était un tronc darbre tombé
à terre »
LIstiqlal est un parti marocain fondé sous la domination de celui qui sest
nommé « protectorat », à savoir le pouvoir colonial français, en vue dobtenir
lindépendance marocaine.
79
SACHA ZAMKA
quatre textes
80
CORTÈGE N°2
poussière
dans l'apprentissage de vivre
dans l'enseignement d'exister
des yeux s'ouvrent
à des rayons solaires
qui aveuglent
et éclairent
vais-je redevenir poussière ?
le labyrinthe est infini
le chemin est inachevé
et je n'ai d'autre vérité
que mon souffle
et ma respiration
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amour
par les ronces et les pavots
de la mémoire
je m'égare
à la recherche
d'écorchures
et d'effleurements
jusqu'à atteindre
ce monde
dont le nom est dévotion
je veux n'agir que par amour
infinement heureux
et infinement triste
comme un enfant
82
autrement
autrement que tristesse
autrement que regret
l'enfance est en moi
avec
ses anges sans dieu
et ses oiseaux sans destin
le vent souffle sur ma poitrine
et je respire
initié par des signes
sans origine
un langage
que j'ignore
et qui me reconnaît
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enfance
dernier regard
dernier aveuglement
j'ai soif
de larmes divines
et de larmes humaines
comment redevenir enfant ?
temps et éternité
tournoient
au coeur du labyrinthe
de ce que je suis
et de ce que je serai
mes yeux se ferment
sur des souvenirs
que je n'ai pas vécus
dois-je dire au revoir
ou dois-je dire
adieu ?
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Y'a pas maldonne : CORTÈGE est en participation libre.
Nous considérons quil est essentiel que ce projet reste
accessible à tous aux adolescents, aux personnes en situation
précaire, bref à celles et ceux qui ne peuvent se permettre de
débourser ne serait-ce qu'un sou dans ce que lon appelle
culture.
Pour ceux qui le peuvent, vous pouvez régler ce numéro par
virement en nous contactant à : editionscontresort@gmail.com.
Il est également possible de soutenir régulièrement notre travail,
par exemple sous forme dabonnement juste ici :
https://fr.liberapay.com/revuecortege/
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Y'A PAS MALDONNE