Télévision. J’entends dire que les minorités sont
invisibilisées. Ha ! J’ouvre le dictionnaire (oui, encore lui,
on ne change pas une méthode qui marche à moitié),
invisible : « qui n’est pas vu ». Très bien, sauf que dans la
vraie vie, en tant que minorité, t’es pas invisible, t'es vu,
cramé partout. Dans la rue, les flics te voient avant même
que tu tournes la tête, les caméras te repèrent, à la
campagne on te fixe derrière les rideaux comme si tu
allais voler le chien du voisin. Bon, c’est vrai, je
comprends ce qu’elle veut dire : sur les plateaux, les JT…
hop ! Disparu pour le mieux, utilisés comme caution
pour le pire. « Il faudrait qu’on se rende visibles » et
pourtant, moi, j’ai toujours ce vieux refrain « profitons de
l’invisibilité », soyons des ombres, insaisissables et
invisibles. Le problème, c’est que dès que je mets un pied
en manif, je suis pas une ombre. Je suis un gros panneau
clignotant : « HEY ! VOICI UN CORPS À
MATRAQUER ! ». L’invisibilité, c’est un luxe. Alors je
me dis : peut-être qu’il faudrait abolir le mot. Arrêter de
dire « les invisibles » et inventer un autre terme, genre les
hyper-visibles-inmontrés. Non, trop long. Les phares
humains ? Non, ça fait pub Renault. Bordel. Et si on
arrêtait de chercher ? Parce qu’au fond, qu’est-ce qu’on
veut vraiment ? On veut vraiment être visibles dans leur
cadre ? C’est-à-dire finir décor de plateau télé, servir de
caution aux débats pourris « Et maintenant, le point de
vue d’Abdel et du pauvre de service pour nous parler
d’une réussite féministe : une femme au CAC40 ! Waouh
! » (applaudissements enregistrés). Lutter pour se
retrouver dans la maison de l’opposant ? Non merci. Moi
je veux qu’on rêve de tout péter, d’arracher le cadre, de
foutre le micro en l’air jusqu’à ce qu’il explose. Moi, je
rêve d’être invisible, je rêve que dans la rue, on ne me voit
pas, parce que je suis de ceux qu’on n’affiche pas mais
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BILLET D'HUMEUR
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